La maison Mannborg.
Rappel historique.
Theodor Mannborg est né à Karlstad, en Suède, en 1861. Il devient apprenti de J. P. Nylström en Suède et émigre en Allemagne en 1886 où il reçoit une formation du facteur d’orgues Urban Kreutzbach à Borna. Il a établi son usine en 1889 dans cette ville, construisant les premiers harmoniums aspirants d’Allemagne. Rapidement son entreprise devient l’une des plus importantes manufactures d’harmoniums d’Allemagne et d’Europe. Elle commence réellement son activité en 1891. En 1894 elle s’installe à Leipzig tout en conservant une succursale à Borna. Cette délocalisation permet à la manufacture de se développer considérablement et d’aborder une plus large clientèle. Ainsi, si en 1894 le 500e instrument quittait les ateliers, l’année suivante elle finissait son 1000e. À la mort du fondateur en 1929, l’entreprise est restée propriété familiale, mais a peu à peu délaissé la construction d’harmoniums. Durant la Seconde Guerre mondiale, l’activité se réduisit à la production de meubles. à partir de 1946 la fabrication de pianos a pu reprendre jusqu’en 1955, où l’entreprise a été rachetée par la Leipziger Pianofortefabrik de Böhlitz-Ehrenberg (archives municipales de Leipzig).
La maison Mannborg n'a construit que des instruments aspirants, il est nécessaire de revenir sur leur principe de fonctionnement. Voici ce qu’en dit Alphonse Mustel dans son ouvrage l’Orgue expressif ou Harmonium (t. 1, pp. 52-53) :
« l’orgue américain […] est tout autre chose. Ce qui le distingue tout d’abord au niveau de sa facture, c’est sa soufflerie qui est aspirante au lieu d’être refoulante. C’est pour ainsi dire un harmonium retourné à l’envers… Les soufflets sur lesquels agissent les pédales raréfient l’air au lieu de le comprimer ; le réservoir pourvu de ressorts qui tendent à l’ouvrir et non à le fermer, agit en se dilatant et non en se resserrant ; l’air aspiré rentre du dehors par les débouchés qu’ouvrent les soupapes des touches, au lieu de s’échapper par ces ouvertures ; l’anche elle-même est retournée, traversée par un souffle descendantau lieu d’en souffle ascendant. Malgré ce qu’une telle disposition a d’original, il ne semble pas que ce soit à elle que soit due principalement la qualité de sons spéciale que possède l’instrument, mais bien plutôt de la structure particulière de son anche, à la situation étranglée de cet organe dans sa case. Le son résultant est très doux, d’autant plus qu’il ne lui est pas donné de pouvoir vibrer sous des pressions différentes en conservant son accord. En raison de l’absence de soufflerie puissante, on lui ôte la principale qualité de l’anche libre, son Expression. L’instrument doit fonctionner sous un vent toujours égal, comme le Grand-Orgue. La sonorité de l’orgue américain est douce, veloutée, mais peu intense ; ses jeux ont tous à peu près le même timbre, un peu plat. Nul accent, nulle attaque, nulle Expression ; perdant toute sa spontanéité, toute sa puissance de sensation, elle est réduite à la nuance progressive que l’on peut obtenir par l’ouverture et la fermeture de lames de jalousies. Cet instrument manque de vie et d’émotion. Le rôle qui convient le mieux à l’orgue américain […] est celui d’un petit orgue d’accompagnement pour soutenir, dans une chapelle d’étendue restreinte, les chants de la liturgie protestante ; mêlant aux voix ses petites notes fluides, il emplit l’âme d’un vague sentiment mystique. »
Il est vrai que dans certains cas les harmoniums aspirants sont plus courants dans les chapelles que leurs cousins foulants. Ils présentent (exception faites des modèles américains à crédence parfois très développées) un encombrement moindre, une sonorité moins tranchante et surtout, ne demandent pas la maîtrise de l’expression, qui si elle est la « vertu suprême » pour la famille Mustel, n’en demeure pas moins une difficulté insurmontable pour bon nombre d’organistes de village de l’époque, plus souvent « musiciens du dimanche » que virtuoses confirmés et capables d’utiliser correctement et avec goût tous les raffinements du Kunstharmonium. L’utilisation de boîtes expressives (mues par la genouillère droite), calquées sur celles de l’orgue, donne effectivement un côté plus artificiel aux nuances du reed organ, mais combinée à l’emploi du crescendo de grand jeu (genouillère gauche), elle permet certains effets impossibles sur un harmonium foulant. Ainsi, il n’est pas question de vouloir trouver une quelconque supériorité de l’un sur l’autre. L’harmonium et le reed organ sont cousins et ont chacun les qualités de leurs défauts. Les deux factures ont leur place et doivent être préservées comme témoignage des recherches organologiques de leur temps.
Caractéristiques techniques du reed organ.
L’harmonium aspirant, nommé Saugluft-harmonium en allemand a connu de très nombreuses versions, avec autant de nomenclatures de jeux et de spécificités qu’il y a eu de facteurs. Cette diversité a été pendant de très nombreuses années un frein à la composition d’un répertoire savant, profane et concertant capable de rivaliser avec les œuvres écrites pour le Kunstharmonium. Les compositeurs ne pouvant pas trouver une base standard pour écrire une musique jouable sur tous les modèles, la plupart du temps, le répertoire ne s’est constitué que sur de vagues transcriptions ou sur des partitions ne faisant pas directement appel aux caractéristiques propres de l’instrument. Cependant, sous l’influence marquante des manufactures Hinkel, Lindholm et Mannborg s’est peu à peu dégagé un modèle standard appelé Normalharmonium(harmonium normalisé). C’est cet instrument que Karg-Elert a utilisé pour ses Innere Stimmen [8 pièces] op. 58 (1918-1919), ses 6 Romantische Stücke(1915) op. 103 et ses 7 Idyllen (1914) op. 104. En voici la nomenclature des jeux :
Basses FF-h |
|
1 |
Diapason
8’,
moyennement fort, tranquille. |
Dessus c’-f’’’ |
|
1 |
Melodia 8’, ronde, large, son d’orgue, très
expressive. |
Accessoires |
|
G |
Grand jeu (1, 3 / 1, 2, 3, 4f, W, OK),
genouillère gauche (les jeux entrent progressivement). |
Les grands modèles du catalogue Mannborg, les Stil 17 et Stil 55 ont été produits entre 1910 et 1929. Le Stil 55 était un harmonium à un clavier à double expression, forte expressifs, prolongement, dessus de Fagott 32, qui se voulait l'équivalent des harmoniums d'art français des maisons Alexandre et Mustel. Malheureusement, malgré son clavier de 68 notes (FF-c''''), sa coupure entre si et ut excluait toute interprétation des œuvres composées par Franck, Fouquet, Guilmant, Karg-Elert, Vierne... Le Stil 17 était plus complet par ses 9 jeux ½, la disposition des registres sur ses deux claviers, mais là encore, la tessiture et les coupure des claviers étaient problématiques.
L'instrument commandé au début de l'année 1914 pour son château de Bonnelles (Yvelines) par la duchesse d'Uzès a pour base le Stil 17 mais largement aménagé pour correspondre davantage aux standards des harmoniums d'art français. La tessiture des claviers est de 61 notes, de C à c'''', avec la coupure entre mi et fa, comme sur les instruments français. La composition du second clavier vient compléter l'instrument entre autre avec un jeu de Violoncelle / Musette 16' et un Harpe éolienne 8' d'inspiration très française. Au premier clavier, le Waldhorn est en 32', pour faire le pendant au Baryton 32' des Mustel. Un système de prolongement est encore ajouté sur le premier clavier. La soufflerie à dépression est de taille impressionnante et présente un mécanisme d'expression, très rare dans ce type de facture.
I) Premier clavier (bas) :
61 notes (C-c’’’’) |
|||||
Basses :
29 notes (C-e’) |
Dessus :
32 notes
(f’-c’’’’) |
||||
1 |
Bourdon |
8 |
1
|
Flûte d’amour
|
8
|
II) Second clavier
(haut) : 61 notes (C-c’’’’) |
|||||
Basses :
29 notes (C-e’) |
Dessus :
32 notes
(f’-c’’’’) |
||||
1
|
Cornett
echo
|
8
|
1 6 |
Flauto amabile Salicional |
8 |
Accessoires |
|||||
Prol. Prolongement I (C-H) |
Vib. Vibrator
I |
||||
Manual Koppel
II/I |
Les sonorités sont représentatives
du reed organ : elles sont assez douces,
mais sans toutefois
être éteintes comme dans certains instruments. Les timbres sont très
caractérisés, allant du très flûté imitant les fonds d’orgue, au coup
d’archet très marqué en passant par les accents cuivrés des trompettes,
trombones et tubas. La soufflerie de grandes dimensions et un système
d’expression permettent de faire des nuances, renforcées par l’effet
des boîtes expressives dont les lames feutrées sont particulièrement
épaisses et hermétiques. Le simple fait d’ouvrir une boîte fait passer
ses registrations au premier plan. Nous commenterons la description des
timbres telle qu’elle est donnée dans la plaquette commerciale.
Le Diapason
/ Melodia est le 8’ principal du
clavier
inférieur. Son timbre se situe entre le 1 et le 4 des harmoniums
foulants. Il est dérivé en Echo
/ Piano 8’, ce qui
permet d’avoir l’équivalent d’une sourdine pour la basse et pour le
dessus, sans le désavantage d’une nuance qui varie selon le nombre de
notes jouées. Le second jeu de 8’ est le Bourdon / Flûte d’amour,
qui est décrit comme
« aimable ». La sonorité est très flûtée, plus ample
que celle du Cor anglais / Flûte. La Vox
jubilans est un emprunt du Piano 8’ et
de la
Flûte d’amour 8’. Bien que n’étant qu’un jeu de combinaison, le réglage
de l’ouverture des registres permet de lui donner une couleur proche de
l’ondulation calme de l’Unda maris de l’orgue. Le Fagott /
Clarinette16’
est d’une profondeur impressionnante
sans toutefois être lourd. La basse est renforcée par une Subass 16’
(uniquement
sur C-H, très utile avec
le prolongement), qui sonne à la manière du jeu éponyme de l’orgue. Les
dessus présentent encore un Waldhorn
32’, qui à l’époque
faisait « une impression extraordinaire à tous les
connaisseurs. » Ce jeu, très réussi, donne
réellement l’impression d’un cor de chasse, assez présent et d’une
grande rondeur qui se marie à merveille avec la Clarinette 16’ et
permet des effets très orchestraux avec des registrations creuses. Il
peut aussi faire des solos très expressifs. Ses anches sont foulantes.
Le Principal 4
des basses est assez clair,
sans être agressif. Il est dérivé en Viola
dolce, qui permet de faire d’assez
discrets
accompagnements à la basse. La Waldflöte
4’ (dessus) peut
être utilisée en solo, même si sa couleur devient un peu pâle une fois
la 4eoctave
dépassée. Elle apporte lumière
et piquant, sans être claironnante. La Harpe
éolienne 2’ (deux rangs réels) des
basses est d’un
effet absolument magique. Elle est fluide, éthérée, et n’a rien à
envier aux ondulants des Mustel, Richard et Rousseau. Le dessus de
Piccolo 2’ est
faible, mais illumine les dessus.
Il reprend en 4’ sur le dernier fa. Le Vibrator, large
volet mobile qui tourne
derrière les dessus du sommier, imprime une légère ondulation au vent
qui met en action les anches. On peut ainsi recréer un dessus de voix
céleste 16’ en mettant la Clarinette et le Vibrator. Les ensembles
sonnent avec plénitude, sans être agressifs et les registrations de
détail permettent beaucoup de délicatesse, avec des mélanges rendus
possibles par les boîtes expressives.
Le clavier supérieur est moins fourni, mais les jeux et les
combinaisons qu’il présente viennent intelligemment compléter la
composition du clavier inférieur. Le sommier est posté dans la hausse
du buffet, ce qui lui donne une sonorité particulière. L’ouverture du
couvercle supérieur lui donne une présence remarquable. Ce plan est
basé sur un 16’, le Violoncello / Musette, dont la
sonorité rappelle beaucoup celle des harmoniums foulants (les débouches
sont munis d’un volet mobile qui renforce le son). Le dessus est un
soliste très souple. Il est dérivé en Gamba / Salicional.
Le premier 8’, Sirene / Flauto amabile est d’une
très grande rondeur, avec beaucoup d’ampleur. Le jeu de Cornet-Echo
dans la basse est très discret et fait un merveilleux accompagnateur.
Le dessus de Bassethorn 8 a une attaque assez
franche qui imite les cordes. Le dessus de Äolsharfe 8’
est un emprunt du Bassethorn et
du Flauto amabile. Si ce registre n’est pas à proprement parler un jeu
réel, il complète la composition du premier clavier de manière
avantageuse. Sa couleur rappelle tout à fait celle des instruments
d’art français. Tous les jeux sont eux aussi dans une boîte, dont
l’ouverture est contrôlée par un registre de Forte.
Un tirant spécifique permet d’intégrer le jeu de Violoncello / Musette
16’ au volles Werke.
Les accouplements des claviers se font par les
registres tout de suite aux joues du clavier inférieur. Celui de gauche
appelle l’accouplement d’octaves, celui de droite l’accouplement à
l’unisson. Le Prolongement
est enclenché à un registre à bascule à gauche. L’Annulation
du prolongement se fait par la talonnière gauche. Son
mécanisme avait été modifié par Willy Meurer et présentait des
dysfonctionnements, il a été revu et corrigé. Dans le grand jeu
n’interviennent pas les ondulants le Vibrator, les emprunts faibles et
le Violoncello / Musette (à moins de tirer le registre qui les y
intègre), mais le dessus de 32’, de 2’ et l’accouplement d’octaves y
trouvent leur place.
Johannes
Brahms : extraits des Elf
Choralvorpiele op. posth. 122
Choral "Schmücke dich O liebe Seele"
Choral "Es ist ein Ros' entsprungen"
Alexandre Guilmant Recueillement op. 23 n° 2
Sigfrid
Karg-Elert Adoration des 8 Stücke für Kunstharmonium op. 26
César Franck : extraits de l'Organiste, 7 Pièces en ré bémol majeur et
ut# mineur
N° 1 Andante
N° 2 Andantino
N° 3 Poco andantino
N° 4 Poco allegro
N° 5 Lento
N° 6 Andantino poco mosso — amen
N° 7 Andante (Offertoire)
Georges Bizet : Trois Esquisses musicales op. 33
N° 1 Ronde turque